Tel un chien dans un jeu de quilles, le premier confinement, instauré le 17 mars 2020, est venu chambouler les pratiques des enseignants, instaurant la règle du tout à distance ou presque. Avec quelles conséquences, quelles évolutions, quelles adaptations dans les pratiques ? L’heure est à tirer un premier bilan.
Enseignement à distance, quel bilan après un an ?
« Du jour au lendemain, on a demandé à l’enseignant de passer d’auteur-compositeur-interprète à caméraman, cadreur, gestionnaire des effets spéciaux, en bref tous les métiers du générique d’un film », analyse Marc Reiser-Deligny de sa position d’observateur privilégié, en tant que responsable administratif de la Faculté de physique et ingénierie. Or, ce n’est pas son métier ! »
S’il ne rejette pas l’enseignement à distance en bloc, Michel Koebel, professeur de sociologie à la Faculté des sciences du sport, va dans le même sens quand il souligne le côté irremplaçable de l’interaction enseignant-étudiants, lors d’un cours entre les murs de l’université. Illustration au début du second semestre, avec un petit groupe de 23 étudiants de première année de Deust : « Premier cours derrière l’ordinateur, aucun ne souhaite allumer sa caméra ni son micro. Au second cours, présentiel celui-là, j’ai retrouvé la magie de l’interaction ! J’avais du retour, je pouvais palper l’attention, lancer le débat ».
Davantage d’interactions
Après une adaptation dans l’urgence lors du premier confinement, les choses se sont quelque peu stabilisées grâce à l’acquisition de matériel et la formation aux outils… Mais l’espoir d’un retour au présentiel en début d’année universitaire a été refroidi au bout de deux mois. Face à cette situation incertaine et floue, chaque enseignant réagit en fonction de son expérience et de son bagage personnel. Tous ne sont pas également armés pour jongler avec des outils que, pour certains, ils découvrent. Comment donc reprocher à certains de se « contenter » de filmer leur séquence de cours, alors que tous ces efforts supplémentaires sont demandés à moyens constants ? Même face à eux, les enseignants découvrent « des étudiants maîtrisant diversement les outils informatiques », souligne Virginie Zint, enseignante à l’IUT Louis-Pasteur. « Et pas tous très bien dotés en matériel non plus, car cette situation subie accentue des iniquités, économiques et sociales, déjà existantes », ajoute Michel Koebel, qui a participé aux distributions de matériel informatique aux étudiants dans le besoin.
Pour autant, les enseignants retiennent aussi du positif dans l’enseignement à distance. Hyper-convaincue par l’interactivité offerte par des outils comme YouTube live, Amélie Barbier-Gauchard, vice-doyenne de la Faculté de sciences économiques et de gestion, ne voit pas de retour en arrière possible, notamment pour enseigner en grands amphithéâtres, devant 200 à 600 étudiants : « Je n’envisage plus de faire cours autrement, de revenir à nos méthodes traditionnelles d’enseignement sans introduire dans mes pratiques pédagogiques tous les bénéfices liées à l’enseignement (et outils) à distance. Grâce au tchat combiné à la vidéo et aux outils de tests en ligne (Wooclap, tests Moodle…), qui permettent d’évaluer beaucoup plus facilement l’acquisition des apprentissages, les étudiants m’interpellent beaucoup plus qu’avant en cours magistral, ils posent des questions au fil de l’eau, sollicitent des éclaircissements sur des points de cours, peuvent juger de leur niveau et de leurs difficultés en temps réel, se répondent entre eux lorsque l’un ou l’autre a perdu le fil sans interrompre l’enseignant ni perturber le cours. Au final, les étudiants s’investissent davantage dans le cours et l’enseignant peut suivre l’acquisition des connaissances plus précisément d’une séance à l’autre.». Aline Stéphan, maître de conférences à l’Ecole supérieure de biotechnologie de Strasbourg (ESBS), voit aussi un avantage tout simple au tchat : « Désormais, on peut interpeller nos étudiants par leurs noms et prénoms, même dans les grands groupes ». Un rapprochement paradoxalement permis par l’usage d’outils « virtuels », que remarque aussi Sophie Kennel, directrice de l’Institut de développement et d’innovation pédagogiques (Idip) : « De nombreux enseignants m’ont dit qu’ils commençaient désormais leur cours en demandant des nouvelles à leurs étudiants, et que ça changeait beaucoup l'engagement des étudiants dans le cours en ligne ».
Outils gadgets ?
Enseignante en information-communication, elle analyse aussi positivement l’introduction de nouveaux outils dans sa pratique : « Je pensais que c’était un gadget, mais un outil de sondage comme Woodclap permet d’apporter de l’interactivité et de l’attention dans une séquence en ligne ». Mauro Porta, enseignant à l’Institut de recherche mathématique avancée (Irma) depuis septembre 2017, salue lui aussi les avantages offerts par des outils comme BigBlueButton, par rapport au présentiel : « Je peux faire travailler les étudiants en petits groupes de niveaux mélangés de façon beaucoup plus flexible. Des outils comme les sondages m’aident à comprendre où sont leurs difficultés, et les ateliers Moodle ont une valeur didactique importante, qui leur permettent de travailler en s’entraidant, en particulier les L1 ». « Pour moi ces outils sont très utiles, mais quand les étudiants savent déjà travailler en autonomie, à partir du master », nuance Michel Koebel, déjà familier des enrichissements de contenus digitaux (graphiques, sondages, pastilles vidéo, quizz…) avant le confinement.
Avec les nouvelles conditions pour permettre à davantage d’étudiants de venir en cours, comme le souhaitent certains, l’heure est maintenant à l’hybridation (ou co-modalité, la novlangue de l’enseignement à distance !). Mais nombreux sont les enseignants à constater que « c’est ce qu’il y a de plus complexe à mettre en œuvre ! » Pour Peggy Candas, maître de conférence en didactique à la Faculté des langues : « On n’arrive à rien de bien si on doit penser plusieurs choses en même temps ». Avec l’incertitude ambiante, une certaine lassitude peut parfois se faire jour. Virginie Zint analyse ainsi : « Au départ, une solidarité s’est mise en place, ensuite remplacée par la fatigue et même un manque d’empathie. On se voit moins entre enseignants, on oublie un peu ce que font les autres ». Une situation qui confirme, si besoin en était, la nécessité d’un minimum de présentiel, pour mettre de l’huile dans les rouages…
Elsa Collobert
- Enseignants, vous souhaitez témoigner, apporter votre point de vue ? Contactez l’adresse medias@unistra.fr
- Pour aller plus loin : Lire « De l’enseignement traditionnel au numérique, un passage obligé ? », un article sur l’enquête menée lors du premier confinement